Le 21 mars dernier, nous étions présents au 2e anniversaire de l’initiative « Tous Mobiles » portée par le Laboratoire de la Mobilité Inclusive (LMI). L’évènement avait lieu au Ministère de la Transition Ecologique à la Défense (92), avec la participation ou l’intervention de représentants de la délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté (DIPLP), et surtout des représentants d’associations de mobilité solidaire (vélos, auto-écoles et garages solidaires, plateformes de mobilité, etc.).

L’évènement fut aussi l’occasion de présenter le rapport « Mobilité Solidaire : pour un passage à l’échelle » réalisé par le cabinet Auxilia. Ce rapport se base sur les retours d’expérience exprimés lors des rencontres Tous Mobiles organisées dans plusieurs régions de France.

Cet article vous restitue les principaux enseignements du rapport, à travers la perspective du transport solidaire.

Transport Solidaire et Mobilité Solidaire

Commençons tout d’abord par saluer l’immense travail du LMI qui depuis 10 ans mène un travail exemplaire de structuration de la mobilité solidaire. Le LMI organise notamment des webinaires très riches rassemblant les intervenants du secteur, publiant le site Tous Mobiles, et mettant en valeur le rôle essentiel d’acteurs tels que les plateformes de mobilité dont vous pouvez retrouver la cartographie sur le site.

Le transport solidaire n’est qu’un des aspects de la mobilité solidaire, si nous définissons le transport solidaire comme la pratique encadrée depuis la loi Grand Guillaume de 2016 comme le transport d’utilité sociale, et consistant à transporter des personnes en précarité de mobilité et les accompagner dans leurs déplacements, le plus souvent grâce à des conducteurs bénévoles. La mobilité solidaire englobe aussi 5 autres « familles » de solutions selon la terminologie du CEREMA que sont :

  • la mobilité partagée (covoiturage, autopartage,…),
  • les conseils personnalisés à la mobilité aussi appelées plateformes de mobilité,
  • les garages solidaires (dont aussi les garages vélos et formations de remise en selle),
  • les auto-écoles solidaires,
  • et les aides financières personnalisées à la mobilité.

Le rapport du LMI traite donc de la mobilité solidaire dans toutes ces dimensions, et pas uniquement du transport solidaire qui est lui l’objet principal de notre plateforme.

Le modèle bénévole du transport solidaire, grand absent du rapport ?

Au sein du rapport et dans les échanges de l’évènement, les associations de transport solidaire qui s’organisent majoritairement autour de conducteurs bénévoles ne sont que faiblement représentées. Ce n’est pas un oubli mais plutôt le reflet du paysage de la mobilité solidaire en France. Le principal destinataire du rapport est l’Etat au travers de la DIPLD dont le principal objectif est l’accompagnement prioritaire des demandeurs d’emploi et des bénéficiaires du RSA.

Cet accompagnement est le plus souvent effectué par des associations « professionnelles » qui emploient des salariés, dont des salariés en insertion, et qui ne peuvent exister que grâce à ces financements étatiques. Ces structures sont aussi de taille plus importante ou se regroupent en fédérations plus à même de peser dans le débat public.

Les associations de transport solidaire, elles, se tournent plutôt vers les départements, EPCI ou même communes pour assurer leur financement, financement faible car leur fonctionnement repose très largement sur le travail de bénévoles. De plus, les publics couverts par ces associations ne se limitent pas aux personnes en insertion mais incluent notamment les personnes âgées avec l’objectif, non de retrouver une activité économique, mais de conserver le plus souvent possible une autonomie et une qualité de vie autour de sa maison. Les objectifs sont donc très différents de ceux de la DIPLD.

Egalement, au regret même du LMI, des acteurs comme les Régions ou autres Autorités Organisatrices de la Mobilité n’ont pas répondu aux invitations des rencontres organisées en région, ce qui peut expliquer la moindre prise en compte des besoins de mobilité autres que ceux ciblés par l’Etat. Tout l’objet du rapport est justement de faire sortir la mobilité solidaire de ses frontières trop restrictives avec la mobilité au sens large.

Passer à l’échelle – synthèse du rapport dans la perspective du transport solidaire

Le rapport s’organise autour de 3 grandes recommandations et 8 pistes d’actions. Nous ne couvrirons ici que celles qui nous semblent spécifiquement pertinentes au transport solidaire.

Pour donner tout de suite les enjeux de ce rapport, les dispositifs aidés de la mobilité solidaire accompagnent chaque année 200 000 à 250 000 personnes. Or le LMI rappelle qu’en France 10 millions de personnes sont empêchées de mobilité et que 13 millions sont en précarité de mobilité. Passer à l’échelle, c’est multiplier donc par 50 les personnes accompagnées !

Faire dialoguer les acteurs de la mobilité

La recommandation n°1 est d’accélérer la montée en puissance de l’écosystème de la mobilité solidaire. Les auteurs reconnaissent la maturité du sujet de la mobilité solidaire mais déplorent que ce sujet reste cantonné à certains publics très restreints ou à certains financeurs historiques comme l’Etat.

La mobilité solidaire est aussi l’affaire de tous les publics et de tous les modes de transport, et la piste d’action n°2 propose de faire porter la mobilité solidaire par les principaux financeurs de la mobilité dans les territoires que sont les Régions et les autres collectivités locales qui ont pris la compétence d’organisation de la mobilité.

La mobilité solidaire, partie intégrante de la politique publique de mobilité

La recommandation n°2 est de développer une politique publique intégrée de la mobilité solidaire.

Malgré l’apport de la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) de 2019 qui reconnaît un droit à la mobilité et propose un cadre légal et des outils que sont les PAMS, peu de Régions et départements s’en sont saisis, la piste d’action n°3 est donc de faciliter la prise en main de cet outil par des directives plus précises.

Signalons ici que les échelles de la région ou du département sont nécessaires mais probablement pas suffisante à l’essor du transport solidaire. La Région dispose maintenant par défaut de la compétence mobilité en zones rurales. Le Département est lui le principal financeur de l’insertion et de l’action sociale, et connaît bien les associations locales. Mais la compréhension des besoins de déplacement des personnes précaires devrait s’organiser à l’échelle des EPCI ou au moins des bassins de mobilité que la LOM impose aux Régions de définir. Cette piste est particulièrement intéressante pour le transport solidaire car de nombreuses associations ignorent ou sont ignorées des collectivités compétentes en mobilité.

La piste d’action n°4 préconise un financement pérenne et non plus morcelé et court-terme comme c’est le cas aujourd’hui pour les acteurs de la mobilité solidaire.

En réalité, les associations de transport solidaire sont aujourd’hui moins confrontées à cette difficulté car reposant majoritairement sur du travail bénévole et plus frugal. De plus ces associations se tournent plutôt vers les acteurs locaux, EPCI et départements, en évitant justement de dépendre de financements précaires tels qu’appels à projet nationaux ou européens. Cependant de nombreuses associations sont encouragées à augmenter leur couverture géographique, ce qui passe par une “professionnalisation” et l’emploi de salariés aux postes de coordination, et donc des besoins de financement croissants.

La piste d’action n°5 propose de renforcer le rôle des plateformes et conseillers à la mobilité, et d’étendre leur rôle au-delà des seuls publics aidés en vue du retour à l’emploi.

Cette action bénéficierait aussi au transport solidaire notamment en informant les bénéficiaires potentiels sur les services existants sur leur territoire.

Une offre de mobilité pour tous et sur tout le territoire

La recommandation n°3 est de construire une offre de mobilité solidaire pour tous. Elle s’appuie sur la reconnaissance que de larges parties du territoire ne sont pas couvertes par des offres de mobilité alternatives à la voiture individuelle ou appropriées aux publics précaires, et que c’est uniquement par la diversité des solutions que tous les besoins pourront être satisfaits.

La piste d’action n°6 est ainsi très intéressante en ce qu’elle propose une offre socle à l’échelle de chaque bassin de mobilité permettant de répondre aux besoins d’un plus large public.

Très concrètement, pour le transport solidaire, cela se traduirait par la couverture de l’ensemble du bassin de mobilité par des services de transport solidaire adaptés aux besoins des populations (personnes âgées, jeunes sans permis, personnes en insertion, etc.). Certaines agglomérations comme l’Agglomération du Bocage Bressuirais arrivent aujourd’hui à couvrir tout leur territoire.

Organisation et répartition des services de transport solidaire par commune par l’Agglomération du Bocage Bressuirais

La piste d’action n°8 mérite aussi d’être notée pour soutenir l’innovation dans ce secteur, en collaboration avec les AOM locales et de nouveaux partenaires (start-ups, BPI, Fabrique des Mobilités, laboratoires de recherche, etc.).

Pour le transport solidaire, cette capacité renforcée d’innovation pourrait se traduire par des véhicules ou des modes d’organisation propres à répondre au défi de la transition énergétique. Un autre enjeu d’innovation est de regrouper les trajets à la façon du transport à la demande pour élargir la capacité d’action des services limités par la disponibilité des bénévoles.

Faire passer à l’échelle le transport solidaire

La plateforme du transport solidaire est en contact régulier avec le LMI, et nous nous donnons la mission de faire porter la voix des associations de transport solidaire en France auprès des pouvoirs publics, au même titre que de grandes fédérations comme Familles Rurales ou le Secours Catholique qui sont membres du LMI.

Au-delà des pistes préconisées dans le rapport et qui sont tout à fait pertinentes, si nous devions formuler 2 recommandations pour faire passer le transport solidaire à l’échelle,  ce serait :

  • Un fonds d’essaimage du transport solidaire pour inciter les collectivités à faire émerger des services sur leur territoire en collaboration avec les associations locales. Ce fonds pourrait financer des prestations d’accompagnement à la création d’un service, ainsi que la première année du budget de fonctionnement contre un engagement de subvention des partenaires locaux pour les années suivantes.
  • Une sécurisation des pratiques existantes qui s’écartent du cadre réglementaire par « nécessité », notamment le transport des bénéficiaires directement aux pôles majeurs de santé et non au pôle d’échange multimodal le plus proche*, la revalorisation de la participation maximale au vu de l’augmentation des prix du carburant, etc. Ce dernier sujet a notamment été évoqué au cours de la conférence par une intervention de Familles Rurales lors des questions / réponses

N’hésitez pas à nous faire part de vos réactions sur ce rapport sur notre page Facebook La Plateforme du Transport Solidaire !

* Le décret du 20 août 2019 fixe des critères géographiques ou sociaux à l’organisation d’un transport d’utilité sociale. Parmi ceux-ci, l’obligation de rejoindre un pôle d’échange multimodal si le déplacement s’effectue vers une unité urbaine voisine de plus de 12 000 habitants et donc l’interdiction de déposer un bénéficiaire à tout autre point, notamment un établissement de santé. Or il est très délicat pour les conducteurs de laisser une personne âgée et fragilisée rejoindre par les transports en commun un grand établissement de santé : les bénéficiaires ont souvent besoin d’être accompagnés pour s’orienter dans les méandres d’une grande clinique urbaine, a fortiori il est encore plus difficile de se retrouver dans un réseau de transport inconnu.

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